CANNES 2011 : LA DANSE DE LA VIE

Les corps dansent et ne se touchent pas - LL PARIS-LOUXOR

Le Palace n’est pas une “boîte” comme les autres : il rassemble dans un lieu original des plaisirs ordinairement dispersés : celui du théâtre comme édifice amoureusement préservé, jouissance de la vue ; l’excitation du Moderne, l’exploration de sensations visuelles neuves, dues à des techniques nouvelles ; la joie de la danse, le charme des rencontres possibles. Tout cela réuni fait quelque chose de très ancien, qu’on appelle la Fête, et qui est bien différent de la Distraction : tout un dispositif de sensations destiné à rendre les gens heureux, le temps d’une nuit. Le nouveau, c’est cette impression de synthèse, de totalité, de complexité : je suis dans un lieu qui se suffit à lui-même.

Roland Barthes, « Au Palace ce soir » in Vogue Hommes,1978

Cannes est une mythologie mondialisée et l’ensemble même des mythes qui la composent forment eux-mêmes une cosmologie : un monde en soi. Cannes est en effet un lieu qui se suffit à lui-même et qui ne s’intéresse pas au reste du monde. Cannes, objet de tous les regards médiatiques, lieu de l’exhibition cinématographique possède cependant ses endroits suspendus qui permettent à ceux qui s’y retirent de pouvoir mieux retourner dans le cours du monde… cannois. Il en va ainsi du Magic Garden où l’accueil s’accompagne d’une prévention énoncée avec un sourire clair. On ne prend pas de photo dans le bâtiment. Pendant un temps, il y a de cela une quinzaine d’années, le service de presse y était installé en journée et la Cité de la peur film parodique du Festival de Cannes en avait fait sa boîte de nuit. Jouxtant le Palais des Festivals, il faut, pour y accéder, passer par le Casino. On voit ici une continuité protocolaire entre plusieurs mondes qui imposent une même tenue vestimentaire et des corps.

Sur la piste du Magic Garden, les corps dansent et ne se touchent pas. Une distance protocolaire est maintenue. Une culture des corps différente selon le genre mais aussi le pays, la génération… Dans un ouvrage intitulé La danse de la vie, Edward T. Hall s’intéresse aux règles intériorisées, et non verbales. En effet, connaître ces règles doit permettre d’éviter des incidents, des conflits. Sur la piste de danse du Magic Garden, les corps ne se touchent pas, mais une impression harmonieuse se dégage. Il n’y a pas pourtant pas d’effet chorégraphique. Dans l’espace réduit de la piste se rejoue métonymiquement la danse cannoise où la diversité des rythmes culturels doit être préservée et où chaque danseur doit pouvoir trouver sa place. Edward T. Hall par l’entrée du rythme parlerait d’une synchronie entre des éléments hétérogènes et parfois opposés. Il n’y a pas de chef d’orchestre sur la piste. La musique, construit ici ce qu’Edward T. Hall  nomme un consensus rythmique constitutif de la culture profonde d’un peuple.  C’est à cette condition que le Festival peut rester une tour de Babel avec, plus qu’une langue commune, un rythme commun.

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Sous la direction d’Emmanuel Ethis, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
(Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication)

Damien Malinas

Damien Malinas est sociologue à l'Université d'Avignon, Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication.