CANNES 2012. L’ENFANCE HANDICAPÉE

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A l’Office de tourisme de la ville de Cannes, il y a quelques années, John avait laissé un petit mot sur le livre d’or. De ces livres que l’on trouve dans la plupart des offices de tourisme et qui donnent l’occasion aux visiteurs de laisser leurs témoignages, une trace de leur passage.
A l’époque John était avec son frère pour leur tout premier Festival. John avait seulement 15 ans et pas d’accréditation. Armés d’un peu de patience et de beaucoup de culot, rêvant tout deux d’un avenir cinématographique et venant à peine de réaliser leur premier film, John et son frère ne savaient pas trop comment mettre leur présence à Cannes à profit pour promouvoir leur travail. Ils avaient finalement décidé de laisser ce message : « www. amako-lefilm.em.gd. Allez voir, c’est mon film et celui de mon frère « 15 ans !!! » » sur le livre d’or.

Mais pas celui qui trônait sur le présentoir de l’Office de Tourisme. Non. Juste en dessous. Sur un petit écritoire où un autre était posé avec, sur sa couverture, l’inscription « dédié à la clientèle handicapée et aux enfants ».
Cette curieuse formule ne peut s’interpréter qu’en voyant l’installation. Placé plus bas, ce livre d’or là devenait alors accessible pour les enfants et… les personnes en fauteuil. John et son frère, se sentant encore beaucoup d’affinités avec le monde de l’enfance, ont décidé d’assurer leur promotion sur celui-là.

Aujourd’hui de retour à Cannes dans le cadre de ses études, John entre dans l’Office de tourisme pour y acheter quelques souvenirs pour lui et ses proches. Flânant parmi les souvenirs, il se remémore ses 15 ans et ce message laissé un peu au hasard. Mais le livre n’existe plus. A sa place un accueil dédié au public en situation de handicap et des questionnaires de satisfaction. Une fois sorti de l’Office de Tourisme, John repense à cette formule d’un autre temps « dédié à la clientèle handicapée et aux enfants » et s’interroge sur ce qui, au-delà de la hauteur, a pu tant de maladresse :
Et si l’enfance était une situation de handicap ?
De l’écritoire placé trop haut au fauteuil de cinéma toujours trop grand, rien n’est à leur mesure et leur accès dépend systématiquement de la mise en place de prothèses. Aujourd’hui les salles sont souvent équipées de réhausseurs en plastique pour permettre aux plus jeunes de voir l’écran tout entier.

Le cinéma comme expérience sociale pose particulièrement la question de l’accessibilité de la salle. Mais pour les enfants, la question va au-delà des aménagements physiques. L’accessibilité se pense aussi en terme de compétences à apprécier ce qui se passe sur l’écran. Le cinéma n’a que très peu développé la notion d’âge dans la catégorisation de ses publics. Et quand cette catégorisation intervient, elle est plus restrictive (interdit au mois de) que médiatrice (adapté aux enfants de telle ou telle tranche d’âge). Et si ces critères commencent à apparaître dans certaines salles, dans les festivals cinéma jeunesse ou sur des sites spécialisés, John, lui, se demande si la construction d’une cinéphilie ne passe pas, aussi, par l’inadaptation de l’environnement. Cet inconfort, cette frustration, participent peut-être du désir de cinéma et permettent ainsi la maturation d’une cinéphilie qui se confirme quand, enfin, le fauteuil devient confortable.

Myriam Dougados

Myriam Dougados, doctorante à l'Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse sous la direction d'Emmanuel ETHIS (Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication)