CANNES 2011 : CINÉMA « PRESQUE » VRAI

Je suis un mensonge qui dit la vérité.  Jean Cocteau

Déjà, Edgar Morin écrivait en 1955 dans Les Temps Modernes : “ Il est bien connu que le véritable spectacle du Festival n’est pas celui qui se donne à l’intérieur, dans la salle de cinéma, mais celui qui se déroule à l’extérieur, autour de cette salle. À Cannes ce ne sera pas tant les films, c’est le monde du cinéma qui s’exhibe en spectacle. […] Le vrai problème est celui de la confrontation du mythe et de la réalité, des apparences et de l’essence. Le festival, par son cérémonial et sa mise en scène prodigieuse, tend à prouver à l’univers que les vedettes sont fidèles à leur mythe ”. En 1961, Edgar Morin et Jean Rouch reçoivent le Prix de la Critique au Festival de Cannes pour Chroniques d’un été. Durant l’été 1960, les deux scientifiques interrogent des parisiens, les amènent à s’interroger entre eux et finalement à s’interroger sur eux-mêmes. Les thèmes abordés sont l’amour, le travail, la culture, le racisme… Dans la même lignée que Chris Marker et Yan Lemasson, ce documentaire donne chair par ces « acteurs » à la question existentielle qui taraude le cinéma. Cinéma-vérité et cinéma-mensonge : quel personnage jouons-nous devant une caméra et dans la vie ?

Ce 15 mai 2011, à 18 heures, dans la Salle Buñuel du Palais des Festivals, introduit par Thierry Fremaux, Edgar Morin est devenu un mythe auquel on vient confronter sa réalité. Le vieil homme a une belle voix et tient son public. Le noir se fait. Le film commence. Une première question. Êtes-vous heureux ? Une réponse parmi d’autres titille les sociologues dans l’écran et ceux dans la salle. Presque heureux. Presque. C’est dans ce presque que se joue la capacité et l’incapacité du cinéma et de la sociologie à dire la vérité. La lumière se rallume. Deux étudiants discutent. Un mythe passe devant eux. Ils discutent cinéma. Ils discutent sociologie. Ils discutent Morin. L’un, plus à l’aise dans son discours, rappelle qu’Edgar Morin a largement contribué à la construction de la notion de développement durable. Il enchaîne sur la responsabilité asymptotique qui est la notre devant la nature. L’autre s’arrête et le regarde un peu éberlué : asympt… Le premier, emballé par lui-même, explique à ce dernier que le terme d’asymptote est utilisé en mathématiques pour préciser des propriétés éventuelles d’une branche infinie de courbe à accroissement tendant vers l’infinitésimal. Plus pédagogiquement encore, il développe un peu trop durablement au goût de son camarade le fait que cela peut qualifier une droite, dont une courbe plus complexe peut se rapprocher jusqu’à presque la toucher mais sans jamais l’atteindre. L’autre étudiant sourit et lui répond serein : dans mon quartier, on appelle ça une salope. Sous le regard du sociologue, la vérité est parfois simple à dire, enfin presque.

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Sous la direction d’Emmanuel Ethis, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
(Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication)

Damien Malinas

Damien Malinas est sociologue à l'Université d'Avignon, Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication.