CANNES 2011 : LONGUE ATTENTE, BONNE MEPRISE

Entrée de la Salle Bazin - LL PARIS-LOUXOR

Le Festival de Cannes choisit ses invités. Il sélectionne les films auxquels il convie les festivaliers et détermine le moment de la rencontre en délivrant ses invitations à des séances précises. Cependant, il donne quelques libertés aux spectateurs en autorisant, d’une part, une certaine latitude dans le choix de la projection (réservation électronique ou demandes en aval), et d’autre part un accès à certaines séances sur présentation du badge d’accréditation. Plus les festivaliers sont éloignés du cœur du dispositif cannois incarné par le jury et les personnalités les plus influentes du cinéma mondial (réalisateurs, producteurs, programmateurs, distributeurs etc.), plus il leur faudra attendre en espérant rentrer dans la salle de projection. Entre « accès de dernière minute », « séances du lendemain » et autres « séances spéciales », en effet, les possibilités de voir les films sélectionnés sont nombreuses, sous réserve de s’armer de patience et d’accepter de faire la queue, sans certitude de voir le film espéré.

Les professionnels du cinéma, les journalistes ou les cinéphiles accrédités mais dont les fonctions ne justifient pas un accès régulier aux projections sont ceux qui alimentent le plus et le plus longuement les files d’attente cannoises. En dehors des stars – soignant leur bronzage pour des motifs professionnels–, on pourrait presque reconnaître ces « spectateurs du troisième cercle », comme les désigne Emmanuel Ethis, à l’intensité de leur bronzage. Moins l’on dispose d’invitations et plus l’on attend sous le soleil cannois. Ce fait est d’ailleurs ironiquement commenté par l’entourage du cinéphile qui le voit rentrer chez lui hâlé alors qu’il était censé passer plusieurs jours d’affilée dans des salles obscures.

Dans ces conditions, choisir un film revêt une importance singulière. Lorsque l’on sait devoir attendre une, deux, voire trois heures pour accéder à la salle, sans garantie d’y parvenir, on prend soin de ne pas confier son destin de spectateur au hasard. Il arrive pourtant que l’on se trompe de salle et que l’on aille grossir les rangs de la mauvaise file. De fait, les signalétiques du Festival de Cannes diffèrent notoirement de celles des salles de cinéma classiques : elles sont là pour trier les publics selon leur invitation ou accréditation et non pour les orienter vers la bonne salle. On entend donc régulièrement les vétérans cannois s’assurer d’être au bon endroit avant de prendre place dans la file d’attente. Les autres expérimentent plus régulièrement le fait de voir à l’écran un film qu’ils n’attendaient pas.

Or, lorsque l’on paie le prix d’une séance à coups de soleil et d’ampoules, il est rare que l’on se résolve à quitter la salle. Passées les premières minutes d’incertitude et de surprise, on finit par voir un film dont on ne sait rien (ou en tout cas peu de choses) et que l’on avait écarté au profit d’un autre. Il arrive même que ce film plaise et reste gravé plus durablement que d’autres dans les souvenirs de ces spectateurs étourdis, précisément parce qu’il restera marqué du sceau de la méprise.

Le Festival de Cannes réussit alors le tour de force d’offrir plus de découvertes et de surprises aux spectateurs qui ont le moins de chance de voir les films auxquels ils s’attendent. Rentrer de Cannes bronzé et encore illuminé d’une projection inattendue est ce qui peut arriver de mieux à un festivalier, quelle que soit sa place dans le monde du cinéma. Au Festival de Cannes, les privilèges se paient parfois au prix de la désillusion et du regret, et il n’est pas rare d’entendre ceux qui accèdent le plus aisément à un grand nombre de films regretter le temps où Cannes leur offrait le cadeau d’un film sorti de nulle part. Ils n’ont pas toujours à l’esprit que s’ils ont avancé dans leur carrière de spectateur en changeant de statut, le Festival n’a pas pris une ride et réserve toujours ses charmes inattendus à ceux qui paient leur présence au prix de l’attente et du désir de cinéma.

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Sous la direction d’Emmanuel Ethis, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
(Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication)

Olivier Zerbib

Olivier Zerbib est doctorant à l’Université d’Avignon sous la direction d’Emmanuel Ethis - Centre Norbert Elias (UMR 8562) -Equipe Culture et Communication.