CINÉMAS DE PARIS. MOULIN ROUGE

MOULIN ROUGE
82, Boulevard de Clichy – Paris 18e
1929 – 1980

PARAMOUNT MONTMARTRE

90, Boulevard de Clichy – Paris 18e
1967-1983

Extrait de l’exposition (lien) « Nos cinémas de quartier » (2013, Mairie du 18e).

Nous revenons sur l’histoire de ce lieu emblématique du cinéma parisien, qui a vu se croiser de nombreux artistes, parmi lesquels deux amis et voisins de la Cité Véron, Boris Vian et Jacques Prévert — dont l’appartement-musée de ce dernier est aujourd’hui menacé de disparition par les propriétaires de la salle de spectacle.

collection Tabaste / Abeille-cartes

Le Moulin Rouge circa 1930 collection Tabaste / Abeille-cartes

Construit sur la place Blanche à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, le Moulin Rouge a hébergé un cinéma pendant un demi-siècle (de 1929 au début des années 1980) : une belle salle de 1 400 à 1 500 places dotée d’un foyer et d’un bar, aménagée sous le célèbre cabaret. Les premières expériences cinématographiques datent de 1903 et se poursuivent en 1907 avec l’installation d’une cabine de projection démontable Gaumont. Joseph Oller, co-fondateur du Moulin Rouge, fait construire un vrai cinéma en 1913 en sacrifiant une partie de l’établissement avec une entrée séparée du music-hall. A peine sera-t-il inauguré qu’un incendie le dévaste totalement la même année.

Le Moulin Rouge devient une salle de première exclusivité à partir de 1929 avec des films comme La Journée du grand « Duke » (The Duke Steps Out) de James Cruze avec Joan Crawford et La Route est belle de Robert Florey (1930).

En 1955, la salle est modernisée par le célèbre architecte de salles Georges Peynet : façade entièrement vitrée surmontée d’un bandeau lumineux et de l’enseigne du cinéma. Et à partir de 1962, en passant sous le contrôle des frères Siritzky, Le Moulin Rouge acquiert des projecteurs Philips pour le Super-Technirama 70mm et un écran géant. Et sur le toit, les ailes sont maintenant animées, à la plus grande joie des touristes de la place Blanche.

En 1967, s’ouvre un deuxième cinéma de 700 places, le Paramount Montmartre, se substituant à La Locomotive, boite de nuit et occasionnellement salle de concert, ouverte depuis 1964 et dirigée par l’acteur et champion cycliste André Pousse, devenu entre-temps directeur artistique du Moulin Rouge.
Pendant plus d’une dizaine d’années, les deux cinémas cohabitent à la manière d’un multi-salles, le hall et la façade étant d’ailleurs partagés avec le Moulin Rouge Cinéma. Mais ce dernier ferme le 23 décembre 1980, tandis que le Paramount Montmartre, toujours géré par le réseau Siritzky, poursuit son destin et se subdivise en quatre salles respectivement de 256, 140, 137 et 100 places. En 1983, le Paramount éteint ses projecteurs à son tour, laissant La Locomotive et ses nightclubbers reprendre possession des lieux. Quant à la salle du Moulin Rouge, elle sera utilisée pour des enregistrements d’émissions de télévision. La Locomotive deviendra La Loco, puis La Machine.

Moulin Rouge et Cinéma. Le Moulin rouge a souvent fait l’objet de films de fiction : Moulin Rouge (1952) de John Huston, French Cancan (1954) de Jean Renoir, Moulin Rouge ! (2001) de Baz Luhrmann sont les plus connus mais portent essentiellement sur l’histoire du cabaret à son heure de gloire de la Belle Epoque. Il arrive également que le Moulin Rouge, en tant que salle de cinéma, fasse partie du décor d’un film. Ainsi, on peut en voir la façade dans le moyen métrage Les Mauvaises fréquentations (1963) de Jean Eustache ainsi que dans Neige (1981) de Juliet Bertho et Jean-Henri Roger film dans lequel été tournées les dernières images de la salle encore en activité, comme l’évoque le réalisateur dans un entretien qu’il nous a accordé quelques temps avant sa disparition (ici).

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Extrait de l’entretien avec Jean-Henri Roger dans lequel il évoque le tournage de « Neige » au Moulin rouge. (Intégralité de l’entretien à retrouver ici).

 » On a tourné dans la salle du Moulin Rouge et aussi dans le hall du Trianon. À cette époque les salles projetaient du cinéma de genre, y compris des films pornos, ou du cinéma des diasporas comme au Louxor où l’on passait du cinéma d’Afrique du nord.  Pour Neige, nous voulions tourner sur la terrasse du Moulin rouge, dans le film Raymond Bussières joue le projectionniste, c’est un hommage à Prévert. Nous voulions que Bubu joue le projectionniste de la salle où habitait Prévert, il habitait sur la terrasse du Moulin Rouge tout comme Boris Vian. Mais le désir était plus de tourner sur la terrasse du Moulin rouge, chez Prévert, que dans la salle. Prévert habitait en face de la salle de projection, à l’époque, les projectionnistes arrivaient par la terrasse.

Dans ce quartier il y a des tas de personnages qui ont une solidarité diffuse, non dites, entre eux. Bussières c’est le vieux parigot, il aurait très bien pu être projectionniste et fumer une cigarette avec Prévert pendant la projection des films, cette scène n’est pas du tout improbable [3]. C’était une autre manière de faire vivre le quartier avec ses habitants, ce ne pouvait être que Bussières qui soit projectionniste dans cette salle là. »

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Voisin du 6 bis Cité Véron, Jacques Prévert adresse une lettre (post-mortem) à son ami Boris Vian.
In Dossier 12 du Collège de Pataphysique.

Paris 24-26 Palotin 87 Vendremanche 13-15 mai 1960

Mon cher Boris,

Que deviens-tu ? La dernière fois que je t’ai vu, en voisin, cité Véron, c’était
devant le cerisier et nous parlions de lui très affectueusement, c’est si rare
aujourd’hui, les cerises à Paris. (…)
Il faisait beau et nous faisions de même dans la mesure du possible.
De la cabine des projectionnistes du Moulin Rouge à images, sans coquillage
à l’oreille, on entendait le bruit de la mer et en même temps le strident et
réconfortant tintamarre des torpilles du grand film : Coulez le Bismarck! en
attendant les édifiants échos du Dialogue des Carmélites. Si Dieu veut bien
entendu, que cet autre chef-d’oeuvre passe aussi par ici. (…)

Je t’embrasse, mon cher Boris, et à bientôt ou tard.

Ton ami
JACQUES PRÉVERT

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