CINÉMAS DE PARIS. LOUXOR-PALAIS DU CINÉMA (100 ANS!)

LOUXOR-PALAIS DU CINÉMA (LOUXOR-PATHÉ)
170 boulevard Magenta Paris 10e
Ouverture : 6 octobre 1921 (Mono écran : 1195 places)
Fermeture : 30 novembre 1983
Réouverture : 18 avril 2013 (Trois salles : 342, 140 et 74 places)

1921-2021. Centenaire du Louxor-Palais du cinéma

En partenariat avec le magazine Historia. Pour contribuer et témoigner  : CINÉMAS DE PARIS

Le Louxor d'avant
Le Louxor en 1922

La salle néo-égyptienne des années 1920. Le Louxor a été construit en 1920 par l’architecte Henri Zipcy à la demande du publicitaire  Henry Silberberg. Le nouveau cinéma, qui prend place sur les décombres d’un immeuble haussmannien et du magasin « Au Sacré  Cœur » Nouveautés, est une salle de style Art Déco  égyptisant – avec mosaïques, frises murales et têtes de pharaons en saillie – vraisemblablement inspiré par le film à succès Cleopatra (1917) de J. Gordon Edwards, avec la star de l’époque, Theda Bara, sans oublier cette passion française pour l’Egypte que l’on retrouve à Paris, dans l’architecture, la peinture, le mobilier, les noms de rues… Le Louxor, unique en son genre en France, est alors le flamboyant palais du cinéma du carrefour Barbès qui peut accueillir 1 195 spectateurs assis, avec une salle de 14 mètres sous plafond et ses deux balcons. Il est inauguré le 6 octobre 1921 avec A 14 millions de lieues de la Terre (1918), film de science-fiction  du  danois Holger-Madsen. Hormis la programmation, on sait peu de choses de la soirée d’ouverture, si ce n’est que ce soir-là, non loin du Louxor, Charlie Chaplin, venu à Paris pour présenter The Kid à l’occasion d’une soirée de bienfaisance pour les victimes de la Grande Guerre, faisait la nouba à La Cigale avec le boxeur Georges Carpentier, épisode rapporté par le célèbre critique et cinéaste Louis Delluc dans la revue de cinéma Cinéa.

L’ère Pathé. Peu de temps après son inauguration, Silberberg décède, la salle est vendue l’année suivante à la Société Nouvelle du Cinéma Louxor (réseau Lutétia-Fournier), puis rachetée en 1929 par Pathé. Dès 1930, le style néo-grec se substitue à la décoration néo-égyptienne de 1921.

Programme du Louxor (1924) coll.Ch.Tabaste pour Paris-Louxor

En 1954, le  Louxor Pathé est modernisé par Jean Lesage, décorateur à la Compagnie des Arts Français et par l’architecte M. Bossis :  le vieux rose et le velours grenat recouvrent les peintures et les papiers peints ; les sièges de style égyptien disparaissent, remplacés par des fauteuils de velours grenat à manchettes ivoire ; et le décor de la scène est entièrement en velours deux tons, rose et grenat. Des panneaux installés à l’avant de la salle pour une meilleure acoustique, sont décorés de hautes appliques de métal et verre en forme de palmes. Les années 1950 vont voir défiler au Louxor le meilleur et le tout venant des productions française et étrangère : policiers, romances, aventures, westerns… jusqu’au milieu des années 1960.

Le Louxor-Pathé et le carrefour Barbès dans le film « Dupont Barbès » d’Henry Lepage (1951)

Le crépuscule d’un Palais. A partir de la décennie 1970 viennent peu à peu se substituer des films exotiques égyptiens, hindi ou des productions de série Z. Les toilettes et les balcons sont connus comme lieux de rencontres de toutes sortes ; et il  y a parfois plus de spectacle, raconte-t’on, entre les travées de fauteuils qu’à l’écran !

Comme pour prévenir un désastre qui s’annonce – et ne pas rééditer  le manquement des pouvoirs publics à l’égard du Gaumont Palace et du cirque Medrano, détruits en 1973 -  les façades et les toitures du Louxor sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Le décret est signé le 5 octobre 1981 par le ministre de la Culture Jack Lang. Il en sera de même des cinémas avoisinants Grand Rex, Eldorado, Cigale et Trianon. Le 29 novembre 1983, le Louxor programme sa dernière séance avec le film indien Qaid (1975) d’Atma Ram, au prix unique de 12 francs… et ferme le lendemain.

Sauvé des bulldozers. Protégé administrativement, le bâtiment n’est pas pour autant sauvé économiquement. Après sa fermeture, les magasins Tati, situés sur le carrefour Barbès, rachètent le Louxor, empêchant un éventuel concurrent de l’exploiter en commerce de vêtements, comme cela s’est produit pour les ex-cinémas voisins Barbès Palace et Delta, fermés tous les deux en 1985.

Le Louxor en 1982 (un an avant sa fermeture)

A la fin des années 80, le lieu se transforme en boîte de nuit : La Dérobade (1986) d’inspiration antillaise, puis Le Megatown (1987), haut-lieu des nuits parisiennes gay. Dans les années 90, le Louxor devient un squat artistique et accueille un studio de répétition underground.

Au début  des années 2000, des associations de quartier, menées par Action Barbès, Histoire et vies du 10e et des groupes de cinéphiles, se mobilisent pour sauver le Louxor. La Ville de Paris sous l’impulsion de son nouveau maire, Bertrand Delanoë, rachète finalement l’immeuble en 2003 ; et le 8 janvier 2010, un permis de construire est délivré.

Le Louxor (2010)

En juillet 2010, l’architecte Philippe Pumain entreprend une rénovation complète du cinéma avec l’objectif de faire renaître les décorations égyptisantes de 1921. Au-dessous de la grande salle de 342 places, qui porte le nom du grand cinéaste égyptien Youssef Chahine, sont créées deux autres salles respectivement  de 140 (qui prendra par la suite le nom de Juliet Berto et Jean-Henri Roger) et  74 places. Les trois salles sont équipées de projecteurs numériques 4K (salle Y. Chahine) et 2K. Des projections 35 mm peuvent être également assurées. L’ensemble comprend aussi un bar avec terrasse donnant sur le carrefour et un lieu d’exposition.

Images de l’inauguration du Louxor par David Haddad (Paris-Louxor)

Louxor Palais du Cinéma. Cinélouxor remporte, en décembre 2012, l’appel d’offre lancé par la Ville de Paris pour l’exploitation du cinéma dans le cadre d’une délégation de service public. La société Cinélouxor est composée de Carole Scotta et de Martin Bidou (à la programmation), de la société Haut et Court, ainsi que d’Emmanuel Papillon, ancien exploitant du cinéma Jacques Tati, à Tremblay-en-France et responsable de la filière exploitation à la Femis, ce dernier prend la direction de la salle de cinéma. Le Louxor-Palais du cinéma, entièrement rénové ouvre ses portes, près de trente années après sa fermeture. Une nouvelle page s’écrit pour le cinéma du carrefour Barbès. Le nouveau Louxor accueille, depuis le 18 avril 2013, les premiers spectateurs dans un décor à l’égyptienne flamboyant. Films Art et Essai en exclusivité, avant-premières, festivals, Université Populaire du Cinéma, séances pour enfants, films du patrimoine et ciné-concerts composent sa programmation. Une attention particulière est portée aux cinématographies du Sud.

A lire :
-Chronologie du Louxor
-L’an 1 du nouveau Louxor. Entretien avec les exploitants
-Le Louxor, un an après, avec Michel Gomez
-Le Louxor en chantier

Film à l’affiche sur le programme de 1924 : Les Yeux de l’âme (Os Olhos da Alma) de Roger Lion (1923).
Film sur l’extrait du film Dupont Barbès d’Henry Lepage, non identifié.
Film sur la photo du Louxor en 1982, un film de Bollywood : Katilon Ke Kaatil de Arjun Hingorani (1981)
(Merci à Salles-cinemas.com pour la photo.)

L’association Paris-Louxor a été fondée le 14 juin 2010.

Ajout 12/04/2021. Merci à J.-S. Viguié pour l’affiche de « Lily Marlène » (1950) film britannique de Arthur Crabtree.

Témoignages :

Le Louxor, un amour de cinéma par Yvonne Laurent
Au printemps 1949, Raymond m’a demandé en mariage durant une séance du Louxor… J’ai conservé le ticket.

Mademoiselle Paris du Louxor par André Behar-Kemaloff
Mademoiselle Paris (elle détestait son prénom Marcelle) était une belle vraie blonde, une femme amphore comme la Loren. Elle était ouvreuse de cinéma. Après avoir travaillé des années à l’Empire (Cinérama) jusqu’à la fermeture, elle a travaillé au Louxor. En 1972, au Louxor, c’était du film exotique et de la série B, quelquefois des B cultes. En 1979 elle est tombée (avec sa lampe de poche) dans les marches d’escalier d’un des balcons du Louxor. Elle s’est foulé la cheville et est morte de la gangrène. Je l’ai connue en 1972; Mademoiselle Paris était la mère de ma petite copine. Elle aimait tellement le cinéma que pendant ses jours de repos elle allait au cinéma. Elle adorait « Rencontres du troisième type » et les films de science fiction. Et bien sûr, elle connaissait les dialogues par cœur. Bonbons ! Caramel ! Esquimaux ! ! Chocolats…

Le Louxor et l’or du temps par Marie Hélène Fraïssé
Le « Louxor Pathé », dans les années 50, brillait de tous les feux de ses céramiques dorées. A 10 minutes de La Chapelle, où habitait ma famille, cette salle néo-égyptienne spécialisée dans la production hollywoodienne en série était une grotte d’Ali Baba, pleine de joyaux en pur Technicolor. Au Louxor Pathé je pénétrai enfin pour ma première séance de cinéma, dûment encadrée par toute la famille. On y projetait un nanar série Z intitulé « L’Or de la Nouvelle Guinée ». Une histoire d’explorateurs attaqués par de terrifiants Papous coupeurs de têtes, avec des os passés dans le nez et des peintures de guerre. L’effet fut dévastateur. Je passai les nuits suivantes, terrée au fond de mon lit. Les sanguinaires Papous allaient-ils parvenir à escalader les balcons de notre deuxième étage au 62 rue Louis Blanc? Je fis d’interminables cauchemars. Mes parents se mordirent les doigts d’avoir manqué de discernement pour cette toute première séance…. Nos expéditions cinématographiques recommencèrent de plus belle, poussant au-delà de Barbès, remontant le fabuleux boulevard où défilaient le Trianon, le Moulin Rouge (Mecque du western grande époque), jusqu’à l’inoubliable Gaumont Palace. Entre Barbès et place Clichy, nous avons – comme disait joliment André Breton, illustre résident de la rue Fontaine – cueilli « l’or du temps »…

Chaplin au Louxor par Gisèle Casadesus
Le Louxor !? Je m’en souviens bien, j’y suis allée petite fille… j’ai le souvenir d’y avoir vu des films muets de Chaplin, j’y suis ensuite retournée à plusieurs reprises. Jeune fille, mon père me racontait qu’enfant, il allait chercher le lait dans les fermes de Montmartre, c’était vraiment la campagne, et mon père y allait avec ses frères non loin du Sacré cœur. Une autre époque! (Et plus encore)

Une odeur de Miror par Jean-Marc Lévy
Mon premier souvenir du Louxor est celui d’une odeur… un mélange de cuivre et de désinfectant, quelque chose d’assez proche du Miror et de l’ammoniaque. Enfant, j’aimais regarder les affiches et les photos des films présentées sur les façades du Louxor. Au début, elles étaient punaisées, puis elles ont été présentées sous verre. Je pense que certains petits jeunes les piquaient, comme dans Les Quatre Cents Coups de François Truffaut. J’aime beaucoup ce film, j’y retrouve le quartier, des souvenirs d’enfance et le cinéma. Ces photos coûtaient cher à l’exploitant. Il y en avait de diverses qualités. Je me souviens que les Disney étaient plastifiées et perforées aux quatre coins pour y mettre les punaises, de manière à ce qu’elles puissent être réutilisées sans que cela n’abîme la photo. Mon amour du cinéma a commencé grâce ou plutôt à cause du Louxor. J’avais 12 ¾ – je le précise car à l’époque il y avait une interdiction aux moins de 13 ans – je faisais la queue pour aller voir le King Kong de 1933, lorsqu’un contrôleur me demanda de sortir de la file alors que je me tenais à quelques centimètres de la caisse. J’étais furax. Je descendis aussitôt le boulevard en direction du Grand Rex. On y jouait un western, Bandolero ! Depuis ce jour-là, je n’ai jamais vraiment quitté les salles (Jean-Marc Lévy est projectionniste ndlr). Je suis retourné au Louxor à plusieurs reprises avec mes parents, puis seul une fois plus âgé. Je me souviens de la projection de La Bataille d’Alger. Il y avait un monde fou, l’exploitant avait mis devant le cinéma un panneau “3e rang” afin d’indiquer aux personnes faisant la queue qu’il ne restait que les trois derniers rangs. (Et plus encore)

Le Louxor, quel spectacle ! par Hélène Hazera
J’aimais beaucoup les comédies musicales. Et les comédies musicales indiennes en particulier… Le public maghrébin adore les films indiens ; il paraît qu’à Alger il y a des dames qui ont appris le hindi rien qu’au cinéma. Que de bons souvenirs de films dont j’ai oublié le titre et le nom du réalisateur. Waqt* (« Le Temps ») portait un nom arabe, et racontait l’histoire d’une famille dont les enfants étaient dispersés par une catastrophe et recueillis par des parents de confessions différentes… On l’apprenait avec une formidable séquence pré-générique : Pour Waqt, on voyait la mère se faire renverser. À l’hôpital, on demandait des gens de son groupe sanguin et les trois enfants se retrouvaient, sans se connaître, pour la transfuser ; générique sur les tuyaux de la transfusion allant de l’un à l’autre… C’est vrai que les films des années 50 avaient un parfum plus coriace, des couleurs plus vivaces… Cette actrice « reine de la tragédie » de caste brahmane fuyant la famille de son mari, se retrouvant chez les parias (avec une scène où des hijras -les trans locales- volent dans une salle de concert). Parfois un mélo me touchait directement, quand -encore chez les brahmanes- une fille devenait prostituée pour pallier à la misère qui s’était abattue sur la famille… Ah oui, ce film incroyable où tout se passait en patins à roulettes ! Et Amitabh Bachhan le gueux au grand cœur… (il a fait depuis une carrière politique).
J’étais enfant quand Oum Kalthoum est venue à Paris (concert mythique de novembre 1967). Son concert y a été diffusé en musicorama…ça a été un choc pour moi. Avec quels délices je retrouvais les grandes voix arabes dans des comédies musicales…Warda au Liban en mini-jupe, la chanteuse libanaise Fayrouz, le « rossignol brun » égyptien Abdel Halim Hafez (Dieu qu’il était beau dans le noir et blanc de sa jeunesse). Beaucoup d’habitués du Louxor, moins cinéphiles (ou « cinéfolles ») n’arrivaient pas à croire que je venais juste pour les films. Il fallait parfois batailler, ou faire des concessions. Aller aux toilettes était une périlleuse expédition. Des copains m’avaient raconté l’autre légende du Louxor : certains y passaient leur week-end dans les toilettes. On dit que la première fois que le Bolchoï vint à Paris, les étoiles de la danse russe s’y retrouvèrent tous un soir pour une démonstration vibrante d’amitié entre les peuples. Moi qui étais vertueuse (le chœur du Louxor : « Tu parles ! »), c’était pour les films que je venais ! Mélodrames hindis, films musicaux arabes, vos perversions si pures dansent à jamais dans mon cœur. Merci le Louxor… (Et plus encore)

Le Louxor en couleurs par Jean-Pierre Bechter, ancien kiosquier du métro Barbès-Rochechouart
J’en ai vu de toutes les couleurs devant le Louxor ! François Mitterrand est venu m’acheter des journaux le jour de la fermeture du Louxor. Il m’avait même pris quelques journaux maghrébins. J’ai également croisé Gene Hackman qui faisait du tourisme et est venu m’acheter un plan de Paris, il cherchait le Sacré Cœur… Jean Carmet était un très bon client, il achetait son journal chaque dimanche. Léon Zitrone venait régulièrement acheter ses journaux de course… (…) Je me souviens qu’on y programmait de beaux films. J’y allais quand les films m’intéressaient, je me souviens avoir vu Cent mille dollars au soleil d’Henri Verneuil et La Balance de Bob Swaim. C’est d’ailleurs le dernier film que je suis allé voir au Louxor. Souvent, des immigrés allaient voir un film pendant que leurs habits tournaient au lavomatique à côté. Le quartier était très animé. Un soir, alors que le Louxor programmait La bataille d’Alger, j’ai vu deux ou trois hommes sortir en trombe d’une voiture, une mitraillette à la main, puis se mettre à canarder la façade du Louxor où se trouvait l’affiche du film ! Je m’en souviens bien, il faisait beau. Il n’y a pas eu de blessés, c’était juste très impressionnant. Plusieurs journaux en avaient parlé à l’époque, Le Parisien, France Soir… (Et plus encore)

Le Louxor, la ville-monde par Denise Decornoy
Mes parents étaient ouvriers, nous habitions au 36, rue de la Goutte d’or très exactement. Il y avait là des juifs d’Europe, des Ashkénazes, comme mes parents, on parlait beaucoup Yiddish dans le quartier et à la maison. Il y avait aussi des juifs d’Afrique du Nord, des Séfarades, mais aussi des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, et il y avait aussi ce qu’on appelle communément des Français de souche, on allait à l’école ensemble… tout ce monde là cohabitait très bien, il n’y avait aucun problème…. A la grande époque du Louxor, dans les années cinquante, c’était un quartier vraiment fascinant… J’y ai vu « La Flèche brisée » un film avec Jeff Chandler je crois bien. Je l’ai gardé en mémoire parce que c’était un très beau film, mais qu’est ce qu’on a pu voir comme navets !!! Mon père aimait vraiment le cinéma et tous les cinémas. Je me souviens qu’il m’emmenait en cachette voir des films d’épouvante, en me promettant de ne rien dire à ma mère! Aussi, j’ai un souvenir terrifiant de « La Fille du Loup-Garou », l’histoire d’une fille découvrant que sa mère était un loup-garou, quelle histoire! Ensuite, il fallait rentrer à la maison, faire comme si de rien n’était et ne rien dire… quelle horreur, j’en ai fait des cauchemars ! (Et plus encore)

PARIS-LOUXOR

La rédaction de PARIS-LOUXOR.fr