LE KIOSQUIER DE BARBÈS, MÉMOIRE DU QUARTIER

Au milieu du trafic et autres flux intenses qui animent quotidiennement le carrefour Barbès-Rochechouart se tient depuis plus de trente ans le kiosque de Jean-Michel Lebcher. Témoin des évolutions et métamorphoses du quartier, Jean-Michel prête aujourd’hui main forte à son fils qui a pris le relais. Il s’exprime sur le Louxor qu’il a bien connu et nous fait partager quelques souvenirs et rencontres du carrefour Barbès.

Vous avez connu le Louxor avant sa fermeture en 1983 ?

Oui, je suis arrivé ici en 1979. Je ne vendais alors que des journaux du soir, sous un petit kiosque en toile. L’espace était aménagé différemment d’aujourd’hui. Il y avait une loterie en lieu et place du kiosque, et aussi Colette, la fleuriste juste à côté. On s’entendait bien tous les deux. Le quartier a beaucoup changé depuis, les trafics en tous genres sont beaucoup plus nombreux, c’est de plus en plus dur.

La fermeture du Louxor a changé tant de choses que cela ?

Il y avait plus de monde avant, plus de brassage. La clientèle était plus nombreuse et aussi plus âgée, mais elle a disparu aujourd’hui. J’en voyais de toutes les couleurs. François Mitterrand est venu m’acheter des journaux le jour de la fermeture du Louxor. Il m’avait même pris quelques journaux maghrébins. J’ai également croisé Gene Hackman qui faisait du tourisme et est venu m’acheter un plan de Paris, il cherchait le Sacré Cœur… J’étais très surpris de le voir débarquer avec sa sacoche ! Jean Carmet était un très bon client, il achetait son journal chaque dimanche. Léon Zitrone venait régulièrement acheter ses journaux de course, il habitait vers la Place Clichy je crois, et il marchait énormément de son domicile jusqu’à la Gare du Nord. Aujourd’hui, Depardieu s’arrête souvent en moto et Michou vient faire un tour quand il a le courage de venir jusqu’ici. Avec la réouverture du Louxor, on verra peut-être plus de monde passer par ici.

Quelle a été votre réaction quand le Louxor a fermé ?

La belle façade du Louxor, qui est classée monument historique, je l’ai vu péricliter au fil des années. C’était très triste de voir un si beau monument laissé à l’abandon pendant si longtemps. Quand le Louxor a fermé, c’était une catastrophe pour le quartier, tout le monde faisait la gueule. Le cinéma était un haut lieu de passage et drainait beaucoup de monde jusque tard dans la nuit, il fermait à minuit. Sa fermeture définitive a eu un vrai impact sur la vie du quartier.

Vous fréquentiez le Louxor ?

On y programmait de beaux films. J’y allais quand les films m’intéressaient, je me souviens avoir vu Cent mille dollars au soleil d’Henri Verneuil et La Balance de Bob Swaim. C’est d’ailleurs le dernier film que je suis allé voir au Louxor. Souvent, des immigrés allaient voir un film pendant que leurs habits tournaient au lavomatique à côté. Le quartier était très animé. Un soir, alors que le Louxor programmait La bataille d’Alger, j’ai vu deux ou trois hommes sortir en trombe d’une voiture, une mitraillette à la main, puis se mettre à canarder la façade du Louxor où se trouvait l’affiche du film ! Je m’en souviens bien, il faisait beau. Il n’y a pas eu de blessés, c’était juste très impressionnant. Plusieurs journaux en avaient parlé à l’époque, Le Parisien, France Soir

Après la fermeture du Louxor, j’allais plutôt sur les Grands Boulevards, au Rex notamment. Aujourd’hui je ne vais plus trop au cinéma, je préfère rester chez moi.

Le déplacement du kiosque a été évoqué lors d’un conseil d’arrondissement…

J’en ai entendu parler mais je ne vois pas vraiment comment cela serait possible. Où s’installer ailleurs qu’ici ? L’espace est assez réduit devant le Louxor, les Vélib occupent l’autre côté… Beaucoup de clients étaient sidérés en apprenant un éventuel déplacement, ils n’ont pas du tout envie que le kiosque change de place. La presse a aussi son mot à dire quant à l’aménagement de l’espace à proximité du Louxor. Le kiosque joue un rôle en termes de régulation des flux et des trafics. S’il ne reste pas où il est, l’espace pourrait bien se transformer en un véritable marché aux voleurs…

Portrait de Jean-Michel Lebcher réalisé par Frédéric Poletti.
Frédéric Poletti est photographe, il vit et travaille à Paris 18ème . Son travail pour les Cahiers du Cinéma “Photographe aux Cahiers du Cinéma” a été exposé à l’Institut Français de Prague, à l’Institut Français de Kiev et aux Transphotographiques de Lille.  Il collabore aujourd’hui avec  la presse internationale, la mode et la publicité .


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Thomas Stoll

Thomas Stoll travaille pour le dispositif d'éducation au cinéma Passeurs d'images et coordonne à ce titre la rédaction de la revue "Projections". Il alimente par ailleurs un blog consacré au cinéma et à la musique. Il est membre de l'équipe PARIS-LOUXOR et du comité de rédaction de PARIS-LOUXOR.fr