« LA RÉOUVERTURE DU LOUXOR, UN CRI D’AMOUR AU CINÉMA » avec MAHAMAT-SALEH HAROUN

Réalisateur tchadien, Mahamat-Saleh Haroun a reçu le Prix du Jury au Festival de Cannes 2010 pour son film « Un Homme qui crie ». Depuis, les autorités de son pays ont pris conscience de l’importance de la création et de la diffusion du cinéma. C’est d’ailleurs dans le cadre des festivités du 50ème anniversaire de l’indépendance du Tchad que le gouvernement tchadien a inauguré, en janvier dernier, la réouverture du « Normandie ». Une salle mythique de la capitale N’Djamena dans laquelle le cinéaste s’est largement investi. Très engagé pour le 7ème art dans son pays, Mahamat-Saleh Haroun évoque l’état du cinéma au Tchad, son attachement à ce lieu de partage qu’est la salle, ainsi que la mise en place d’une école de cinéma et son prochain film.

Entretien réalisé dans le cadre d’une soirée-projection* autour de son film Abouna organisée au Patio Opéra (9e).

« La salle de cinéma est pour moi un lieu sacré, exactement comme un temple, une mosquée, un lieu où se construit une mémoire collective. »

En 1999, vous avez réalisé le film Bye-Bye Africa, un film qui fait état, dans un contexte d’instabilité politique au Tchad, de la disparition des salles de cinéma. Comment définissez votre rapport à ce lieu ? Que représente-t-il ?

Mahamat-Saleh Haroun : C’est un lieu sacré, exactement comme un temple, une mosquée, un lieu où se construit une mémoire collective. Mais c’est un lieu ouvert à tous, contrairement aux lieux de culte, comme les mosquées ou autres qui ne sont ouverts qu’aux gens de même religion. La salle de cinéma est un lieu de communion pour tous. Donc détruire une salle de cinéma, pour moi, c’est comme commettre un crime. L’un de mes combats pour les années à venir, c’est de faire comprendre aux pays africains de ne pas accepter que les salles de cinémas se transforment en supermarché ou en église, ce qui arrive souvent. Il est nécessaire de les garder éternellement pour les générations futures amoureuses du 7e art, de les racheter pour que l’on en fasse des lieux d’amour du cinéma.

Photogramme du film « Bye Bye Africa » de Mahamat-Saleh Haroun, 1999.

Dans quel contexte, le projet de la réouverture du Normandie, auquel vous avez largement contribué, a-t-il été pensé ? Quel type de programmation a été mis en place ? La population est-elle impliquée dans le projet  ?

Il faut rappeler une chose. Pendant plus de trente ans, il n’y avait plus de salles de cinéma au Tchad. Cette salle-là a rouvert au mois de janvier, mais il faut dire que c’est une salle qui depuis toujours a été une salle de privilégiés. Les prix sont prohibitifs pour les gens qui n’en ont pas les moyens. Pour le moment, le public qui y va a les moyens d’y aller. L’entrée coûte à peu près trois euros. Mais il y a un désir et une volonté des politiques de rénover des salles à ciel ouvert qui permettent à un public beaucoup plus populaire, plus jeune surtout, d’avoir accès à des films.

Quand le Normandie a rouvert, la cérémonie était diffusée en direct à la télévision. Les gens qui regardaient la télévision, surtout des gamins, n’en croyaient pas leurs yeux. Alors, ils ont voulu voir, ils ont débarqué en masse pour participer à l’événement, et nous les avons laissés entrer gratuitement. C’est vous dire la force d’attraction d’une salle de cinéma. C’est un lieu de rassemblement, de communion. Ça brasse le monde entier, sans exception. C’est ça qui est formidable ! Pour moi, c’est important de sauver, de rouvrir une salle comme le Louxor. C’est triste une salle fermée. Je me souviens être passé plusieurs fois devant le Louxor lorsqu’il était à l’abandon. Le lieu dégageait une âme. Je venais à peine d’arriver : le lieu m’intriguait, il dégageait une âme en peine…

Inaguration du Normandie. Un reportage de France 24, à consulter (ici)

Quelle est la programmation du Normandie ? On raconte que des matches de football y seraient retransmis ?

Non, il n’y a pas de matches de football pour le moment. Mais pour les grandes occasions, cela permet de réunir la population. C’est vraiment la communion, partager des moments forts ensemble. Je me souviens qu’après avoir vu le film La Fièvre du samedi soir, à N’Djamena, dans les années 1980, on avait l’impression, mes copains et moi, d’être reliés au reste du monde. On voyait les mêmes images que le reste du monde. Et quand la guerre est arrivée, on avait encore des choses à partager autour du film, alors que nous étions réfugiés au Cameroun. Voilà comment le cinéma peut, à un moment donné, vous rassembler. Jean-Luc Godard disait « Le cinéma fabrique des souvenirs », cette citation, je l’ai reprise dans Bye-Bye Africa

La programmation du Normandie est assurée par un ami, Issa Serge Coelo, lui-même réalisateur [notamment de N’Djamena City en 2008,  ndlr] : près de cinq films par mois, un film européen, un film africain, un blockbuster, un film de Bollywood et un film pour le jeune public. L’idée est de proposer un large éventail au public.

Après votre prix du jury à Cannes pour Un Homme qui crie, le gouvernement tchadien a mis en place un fonds de soutien au cinéma et à l’audiovisuel. Vous avez été sollicité pour l’ouverture d’un centre de formation. Où en sont ces projets?

En ce qui concerne l’école de cinéma, on a des plans dessinés par un architecte sénégalais Boubacar Seck. On travaille actuellement sur l’appel d’offre et les travaux ne vont pas tarder à commencer. L’ouverture de l’école est prévue pour 2013. On essaye de trouver quelques partenariats avec des écoles européennes pour éventuellement envoyer les meilleurs étudiants de troisième année, à l’étranger, en France, en Belgique par exemple afin de leur permettre d’élargir leurs connaissances. Le fonds pour la production audiovisuelle, alimenté par une redevance sur les communications des téléphones portables, quant à lui, permet de financer des projets. Souvent, les jeunes Tchadiens qui travaillent au Tchad ne sont pas formés, donc on les aide à commencer, à monter leur projet. Il y a une volonté d’accompagner le cinéma.

Grâce au prix reçu à Cannes, les politiques ont compris que le cinéma pouvait complètement changer l’image d’un pays dans le monde. Jusqu’à présent, le Tchad, c’était la guerre. Même si mon film parle de cette guerre, il n’empêche qu’il est reconnu comme une œuvre et non comme un acte de guerre. Je crois que ça, c’est déjà pas mal pour le pays !

Bande-annonce du film « Un homme qui crie » de Mahamat-Saleh Haroun, 2010.

Vous avez rencontré le Président Idriss Deby.

Oui, je l’ai rencontré à sa demande, il était fier pour le Tchad. C’est comme cela qu’on est arrivé à l’idée de créer une école, en tout cas, c’était de sa volonté. On est en train de travailler là-dessus. J’espère vraiment pouvoir former des gens capables de raconter la suite de l’histoire aux Tchadiens et au reste du monde.

Le destin du Normandie, à N’Djamena, s’apparente à celui du Louxor, à Paris, dont l’ouverture est prévue pour le printemps 2013. Comment êtes-vous au courant de la réhabilitation de la salle parisienne ?

J’ai entendu parler des travaux et j’ai vu que le Louxor allait rouvrir. C’est vrai que cela change toute la perspective du quartier. C’est un lieu de lumière de plus dans Paris. C’est très bien, parce que cela va, peut être, aussi attirer une population qui n’a pas accès aux salles de cinéma dans les alentours. Quelque part, il y a une résonance entre le Louxor et le Normandie : ils ont été fermés dans les années 1980. On pourrait envisager un partenariat entre ces deux salles, ce serait formidable !


La façade du Normandie A. Guillot © Radio France

« La réouverture du Louxor, c’est un cri d’amour au cinéma »

Situé  au carrefour de Barbès, dans un quartier populaire, le Louxor proposera notamment une programmation autour des « cultures du Sud ». Qu’est ce que cela vous inspire ? Que souhaiteriez-vous y voir projeté ?

J’aurais tellement de suggestions et d’envies que je ne peux pas tout dire ! Mais c’est une très bonne proposition de la part de la Ville de Paris. La réouverture du Louxor, c’est un cri d’amour au cinéma. C’est formidable de se dire que les cinémas du monde ont leur salle à Paris… Désormais, on pourra aller y voir un film salvadorien, tchadien, ou singapourien… Pour moi qui ai présidé le Fonds Sud Cinéma (un organisme public chargé d’aider la diversité cinématographique dans le monde, ndlr) pendant deux ans de 2007 à 2009, c’est une excellente nouvelle.

On dit cinéma du Sud, c’est très large. C’est en dehors de l’Occident en résumé.

Le Louxor pourra devenir le ciné-club du cinéma du monde pour tous ceux qui s’intéressent à ce qui vient d’ailleurs. C’est bien que Paris puisse proposer cela. Je suis arrivé à Paris en 1982 et lorsque je regardais le programme des salles de cinéma, j’avais l’impression que les images du monde entier m’étaient offertes. C’est bien que le Louxor soit l’adresse des cinémas du monde.

Vous nous avez dit être déjà passé devant le Louxor. Aviez-vous remarqué cette architecture particulière ?

Pendant un temps, j’ai habité rue de Clignancourt. Il y avait quelque chose d’étrange dans cette architecture-là. Louxor, ça me faisait penser à l’Egypte. Je me demandais ce que ce Louxor faisait en plein milieu de Paris.

L’architecture du Louxor-Palais du cinéma est d’inspiration néo-égyptienne à la mode art déco…

J’espère que le Louxor continuera à s’appeler le Louxor !

Pouvez-vous nous parler de votre prochain film ?

Mon prochain film doit se passer au Tchad. C’est l’histoire d’un jeune danseur handicapé d’une jambe, qui arrive tout de même à danser. Il se produit une rencontre complètement folle entre ce danseur et une jeune prostituée. Confrontés à des problèmes, ils fuient la capitale. Ils se réfugient dans la région des champs de coton. Ils s’aiment passionnément. Les corps noirs au milieu des champs de coton blanc. Le contraste… Je pense le tourner dans un an.

On vous retrouvera peut-être au Festival de Cannes dans quelques années alors. Et, qui sait, au Louxor… on vous le souhaite !

Pourquoi pas ! Avec plaisir en tout cas. (rires)

___

Filmographie de Mahamat-Saleh Haroun

2010 Un homme qui crie - Prix du jury du Festival de Cannes 2010
2008 Sexe, gombo et beurre salé (Téléfilm)
2006 Daratt – Saison sèche – Prix spécial du jury, Mostra de Venise 2006 ; Etalon de bronze de Yennenga, FESPACO 2007
2006 Kalala (documentaire)
2004 Scénarios d’Afrique: L’arbre et le vent (court-métrage)
2004 Scénarios d’Afrique: Autour de notre fils (court-métrage)
2001 Letter from New-York City (court-métrage) Prix de la meilleure vidéo, Festival du cinéma africain de Milan 2001
2002 Abouna (notre père) – Quinzaine des réalisateurs, Festival de Cannes 2002 ; Prix pour la meilleure image, FESPACO 2003
1999 Bye Bye Africa (documentaire) – Prix du Meilleur premier film, Mostra de Venise 1999 Prix du meilleur premier film, Festival du cinéma africain de Milan 1999 ; Prix du Meilleur film, Festival International du Film d’Amiens 1999
1998 Un thé au Sahel (court-métrage)
1995 Bord’ Africa (documentaire)
1995 Goï-Goï (court-métrage)
1995 Sotigui Kouyaté, un griot moderne
1994 Maral tanié (court-métrage)

Pour en savoir plus sur les salles de cinémas au Tchad (ici).

* Le ciné-club du Patio opéra (ici) est organisé par Valérie Saas et animé par Jean-Michel Frodon. Chaque mois, découvrez un film en présence de son réalisateur. Après Alain Cavalier, Bertrand Bonello, Mahamat-Saleh Haroun y a présenté, le 11 octobre, son film Abouna.


Afficher Carte PARIS-LOUXOR.fr sur une carte plus grande

Merci à Fatima Souab.

Pauline Jaffre

Pauline Jaffré est attachée de presse dans les secteurs du cinéma et de la mode. Elle travaille depuis 5 ans auprès du service de presse du Festival de Cannes et a notamment collaboré avec la marque de Prêt-à-porter Olympe75018. Elle est membre de l'équipe PARIS-LOUXOR et du comité de rédaction de PARIS-LOUXOR.fr.

Lucile Foujanet

Lucile Foujanet est jeune diplômée en Master Stratégie du développement culturel à l'Université d'Avignon et spécialisée en éducation à l'image. Elle fut chargée de projet pédagogique chez Vodkaster et assistante à la programmation jeune public au Forum des Images. Elle est membre de l'équipe de PARIS-LOUXOR et du comité de rédaction de PARIS-LOUXOR.fr.