LES ENTRETIENS HORS-CHAMP : Mr. EDWARD JAMES OU LE REGARD INTERDIT

Les entretiens hors-champ s’engagent à faire ressurgir des figures et des lieux par le simple moyen de l’évocation et du collage. Ces conversations imaginaires tissent un réseau d’analogies et de correspondances entre temps et espaces éloignés.

"La reproduction interdite" de René Magritte / Edward James

Mr James entre par la grande porte tournante de l’hôtel, dans le scintillement des vitres et des finitions en cuivre poli. Je lui fais signe. Avant de s’installer, il sourit, nettoie le cuir du fauteuil avec un chiffon qu’il sort d’une poche invisible, me serre la main et puis asperge les siennes d’un produit désinfectant sorti de je ne sais d’où.

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Edward James : Enchanté, mademoiselle.

Antonia Maggia Gilardino : Mr Edward James, votre nom n’est pas seulement associé à une fortune immense que vous avez dévoué au mécénat des arts et à la beauté, mais aussi au curieux projet d’une forêt tropicale transformée en parc aux merveilles.

EJ : Vous savez, aussi loin que nous allons, nous y allons avec nous-même.

AMG : Je vois. Donc, après une jeunesse plutôt mouvementée, vous avez passé les dernières trente années de votre vie confiné à las Pozas, cet immense jardin peuplé de petites folies d’architecture, et de sculptures inspirées d’éléments surnaturels. Que représente pour vous cette nouvelle vie au Mexique ?

EJ : Depuis quelques années, en effet, je ne fais confiance qu’aux plantes et aux animaux. Même les artistes m’ont déçu. D’ailleurs, ne serai-je autosuffisant, dans ce champ-là ?

AMG : Mr James, vos projets sculpturaux possèdent une allure étonnante. Mais venons donc au vif du sujet, puisque vous l’esquissez vous même. Quels ont été vos rapports avec le célébrissime peintre Magritte ?

EJ : En 1937, j’invitais René Magritte chez moi, pour qu’il y réalise des fresques.

AMG : C’est donc à ce moment-là qu’il réalisa « La Reproduction Interdite » ?

EJ : Il n’était pas prévu qu’il réalise ce tableau-là. Mais j’ai bien dû l’embêter, je crains, en l’observant travailler, puisqu’il me demandât à plusieurs reprises, très poliment, de lui tourner le dos.

AMG : Mais, Mr James, vous sous-entendez que ce merveilleux chef d’œuvre serait donc le fruit d’une inimitié ?

EJ : Magritte était doué d’une étrange ironie. De plus vous savez, mon humour british et son humour belge…  Somme toute, je n’ai jamais compris s’il ne s’agissait en fait qu’une façon de détourner une commande qui l’embêtait. Et puis, je ne suis tout de même pas très beau.

Ici, j’ouvre une parenthèse. Edward James est un des hommes les plus avenants que j’aie rencontré de toute ma carrière. Ses traits fins et son front large trahissent les origines aristocratiques ; un vrai visage à portrait.

AMG : Mais vous vous méprenez peut être … je connais une petite anecdote qui donnerait une différente tournure à votre histoire, si vous me le permettez.

EJ : Allez-y donc, mademoiselle.

AMG : J’ai bien cru lire, dans une biographie, que vous vous amusiez à suivre des inconnus, dans les rues de Windsor, lors de vos études.

EJ : Quel souvenir ! Je m’en rappelle maintenant, nous jouions aux espions.

AMG : Vous étiez donc fasciné par cette vue inversée, ce cadrage de gens de dos ?

EJ : Étonnante, étonnante intuition, ma chère ; en effet, toute cette activité était basée sur le pur plaisir de l’observation. Et puis, voyez-vous, je me suis toujours méfié des regards directs. Un dos peut bien plus communiquer.

AMG : D’ailleurs, il parait que votre future femme, la danseuse Tilly Losch, remarqua de vous en premier la nuque, lors d’une séance de cinéma …

EJ : Oui, c’est bien ça ; elle m’attaqua de dos, et ensuite, elle me brisa le cœur. Mais n’évoquons pas cela, je vous en prie, ou je m’en irais.

AMG : Ne vous inquiétez pas, Mr James, je ne puis évoquer qu’un esprit par séance, de toute façon. Revenons aux portraits de Magritte, puisqu’il en existe un autre, datant de la même année. Dans celui-ci, votre visage est occulté par une sorte de boule de feu …

Le principe du plaisir de René Magritte

EJ : Curieux, n’est ce pas ? … mais passons à autre chose, voulez-vous ? Aimez-vous les perroquets ? Au Mexique, j’ai développé une vraie passion pour ces charmants volatiles.

AMG : Monsieur, vous semblez esquiver le sujet, tout comme vous esquivez mon regard …

EJ : Je vais être sincère avec vous. Ces tableaux me hantaient. J’ai toujours essayé d’être aimé, moi, de communiquer. Je suis devenu un solitaire par dépit, alors, de me voir tout seul là-dedans, sans même pas mon propre reflet pour discuter, cela me perturbe, somme toute.

AMG : Pardonnez-moi, Edward. Ce n’était pas mon intention de vous faire de la peine.

EJ : C’est n’est pas de votre faute, mademoiselle. Je suis un rêveur, un romantique. Je vous laisse avec un de mes petits poèmes.

I’m in love with love, but have no lover;

The days go by and the winds blow over,

The breeze has brushed the scent from the clover ;

I’m in love with love and have no lover.

Antonia Maggia Gilardino

Antonia Maggia Gilardino est antiquaire et décoratrice d'intérieurs. Née à Rome, elle réside en France depuis l'an 2000. Elle est membre de l'équipe PARIS-LOUXOR et du comité de rédaction de PARIS-LOUXOR.fr