Olivier Sinson, directeur du magasin Gibert Joseph Barbès. photo LL/PARIS-LOUXOR
Le Libraire Gibert Joseph investit l’immeuble historique des magasins Dufayel, Boulevard Barbès, berceau du cinéma à Paris.
C’est à l’emplacement des célèbres Magasins Dufayel que s’est installée en décembre 2013 - à la place du magasin Virgin - l’enseigne culturelle Gibert Joseph à Barbès. Bien avant la création des grands magasins du boulevard Haussmann (1865 pour le Printemps, 1893 pour les Galeries Lafayette), les Magasins Dufayel*, situés sur le côté gauche du boulevard Barbès, entre les rues de Sofia et Christiani, furent édifiés en 1856 par Jacques François Crespin sous le nom de Palais de la Nouveauté.
En 1888, au décès de ce dernier, ils prirent le nom du principal associé, Georges Dufayel. Précurseur en son genre, Dufayel développe le crédit à la consommation, crée sa propre agence de publicité (qui publiera régulièrement des annonces dans le programme du cinéma Le Louxor -comme on peut le voir en couverture de ce programme (ici)-), installe une luxueuse salle des fêtes et un jardin d’hiver orné de plantes exotiques, le tout surplombé d’une immense verrière ; une piste cyclable pour tester son vélocipède avant achat, et même un cinéma.
En 1912, Dufayel est le plus grand magasin du monde** avec près de 15 000 salariés ! Et c’est aussi l’un des tout premiers cinémas de Paris qui ouvre en 1896 aux abords du « Petit Boulevard » (axe Barbès-place de Clichy – cf. Nos cinémas de quartier, (ici)). Une salle de 250 places qui accueille attractions et projections du cinématographe Lumière et qui s’associe à Pathé en 1899. Le cinéma Dufayel ferme une première fois ses portes en 1914 pour renaître en 1933, et baisser définitivement son rideau en 1939. La BNP (alors la BNCI) y installe en 1946 ses services centraux, le quotidien Libération quitte la rue de Lorraine en juillet 1981 pour s’installer rue Christiani, il y restera jusqu’en 1987 avant de s’installer dans ses locaux actuels, rue Béranger dans le 3e arrondissement. En 2002, 280 logements sont créés, plusieurs enseignes s’y installent dont la Grande Récré et Virgin.
Après onze années d’existence, en fermant définitivement son magasin du 15 boulevard Barbès (Paris 18e) le 12 juin 2013, Virgin Megastore, n’aura pas connu la transformation qu’est en train de vivre le quartier Barbès. Le propriétaire des murs, Paris Habitat, y accueillera temporairement une Fête du Vinyle, événement organisé par les disquaires indépendants les 18 et 19 octobre 2013.
Le repreneur, le libraire Gibert Joseph, historiquement implanté au Quartier Latin, a ouvert les portes de son troisième magasin parisien le 11 décembre 2013, soit exactement six mois après la fermeture de Virgin. Le bailleur, Paris Habitat (nom officiel de l’Opac de Paris depuis 2008), et la Mairie du 18e avaient la volonté de trouver un repreneur œuvrant dans le domaine culturel, et d’éviter ainsi l’implantation d’un énième magasin de vêtements.
L’offre portait sur les 1800 m2 sur deux niveaux (rez-de-chaussée et sous-sol).
Les candidats :
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Cultura (holding Sodival), enseigne de distribution française pluriculturelle basée à Mérignac (Gironde) qui compte une cinquantaine de magasins répartis sur l’ensemble du territoire français en périphérie des agglomérations ;
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Gibert Joseph, enseigne pluriculturelle spécialisée dans le livre scolaire et universitaire neuf et d’occasion, disposant de 2 magasins sur Paris intramuros (6e et 13e arrondissements) et 15 autres dans plusieurs métropoles de province (Dijon, Lyon, Marseille, Montpellier, Toulouse, Poitiers, etc) ainsi qu’à Versailles et Saint-Germain-en-Laye ;
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Rougier et Plé, fournisseur de matériel pour les métiers d’arts plastiques, qui dispose d’un réseau de cinquante magasins en France ;
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Egalement cités : Artevia avec une offre de jeux vidéos et Néoness un concept de salle de sport, un espace dédié à la culture… physique.
Composition du comité d’analyse des candidatures : Afaf Gabelotaud (adjointe au Maire du 18e en charge du commerce et du développement économique), Carine Rolland (adjointe au Maire du 18e en charge de la culture), la DDEEES (la direction du développement économique, de l’emploi et de l’enseignement supérieur), le cabinet de Lyne Cohen-Solal (adjointe au Maire de Paris en charge du commerce, de l’artisanat et des métiers d’art), le bailleur Paris Habitat.
Afaf Gabelotaud, l’adjointe au maire du 18e chargée du commerce et du développement économique, revient sur la procédure d’attribution : « Après la liquidation judiciaire de Virgin, nous avons eu à gérer les demandes des anciens salariés (les Gilets rouges) qui souhaitaient qu’on ouvre des pistes sur leur reclassement et qu’on s’engage à les soutenir dans leur combat. Nous avons échangé avec eux à de nombreuses reprises et nous avons vu à quel point ce lieu était devenu un point de rencontre entre le quartier et la culture. Cela concordait avec le souhait des riverains de voir la préservation d’un commerce culturel. Il était essentiel de rester dans un domaine culturel pour la destination de ce lieu, nous avons demandé au bailleur, Paris Habitat, de favoriser cette thématique lors d’une nouvelle attribution. En accord avec la Ville de Paris et le cabinet de Lyne Cohen Solal (Adjointe au maire de Paris en charge du commerce NDLR) nous avons demandé à Paris Habitat d’ouvrir un appel à projets afin d’étudier différentes propositions et d’offrir ce qu’il y a de mieux dans un quartier en pleine évolution qui reste sensible. Nous savions à quel point il est difficile de maintenir le commerce culturel en cœur de quartier, que ce domaine est essentiel au lien social dans un quartier d’une immense diversité et richesse culturelle. Nous sommes également un arrondissement qui commence à connaître un accroissement des étudiants avec l’arrivée de nouvelles universités dans le nord parisien. Il était important de se rapprocher d’une offre culturelle digne du quartier et des exigences d’une vie étudiante riche. Nous avons donc reçu 4 candidatures complètes et avons retenu à l’unanimité la candidature de Gibert Joseph pour la qualité de son dossier et son effort financier. »
Olivier Pounit-Gibert président du directoire du groupe Gibert Joseph, Daniel Vaillant député-maire du 18e et le journaliste Pierre Lescure lors de l’inauguration du magasin.
L’ouverture du magasin le 11 décembre 2013
La séculaire institution fondée en 1886 par Joseph Gibert, professeur de Lettres Classiques au Collège Saint Michel (à Saint-Etienne) présente son dossier en octobre 2013. Après consultation des différentes demandes, en association avec la mairie du 18e, Paris Habitat retient finalement Gibert Joseph et lui signe un bail pratiquement aussitôt, le 15 novembre suivant. Le libraire hérite de toute l’infrastructure du magasin et du mobilier laissé par Virgin : gondoles et tables, meubles muraux, bornes d’écoute, etc.
Moins d’un mois plus tard, après les travaux de remise en service du magasin (qui n’avait pas tourné depuis plusieurs mois) comme le nettoyage des sols, la peinture des murs et des plafonds, le relampage des points d’éclairage, la remise en service de la sécurité incendie et la pose d’une nouvelle signalétique, l’ouverture des portes de Gibert Joseph Barbès a enfin lieu le 11 décembre 2013.
Parmi les arguments forts dans son dossier, Gibert Joseph s’est engagé à conserver une partie de l’ancienne équipe de Virgin dans les rangs de ses employés. Afaf Gabelotaud note que « Le volontarisme du candidat a été apprécié, Gibert Joseph voulait vraiment s’intégrer au quartier et vivre une nouvelle aventure. Ils ont minutieusement ajusté leur proposition financière pour essayer de satisfaire la demande du bailleur en terme de loyer. Ils se sont engagés, à une ouverture rapide avant Noël pour offrir aux habitants une offre pour les fêtes, et surtout, à embaucher, autant que faire se peut, des anciens salariés Virgin.» Sur les 30 membres du personnel actuel, 10 sont des ex-Virgin, 15 viennent du magasin Saint-Michel et 5 sont issus d’autres enseignes culturelles. Par ailleurs, les 15 postes laissés vacants chez Gibert Joseph Saint-Michel ont été pourvus en partie par des anciens de chez Virgin.
L’offre Gibert
C’est le même contenu culturel que les autres magasins : librairie neuf et occasion (au prix de 30 à 80% du prix neuf, 50% en moyenne selon les ouvrages). Dans les piles de livres sur les tables, les exemplaires d’occasion sont toujours sur le dessus. Le magasin réalise 30% de son chiffre d’affaire en livres d’occasion.
« Nous avons une grosse offre sur les livres scolaires et universitaires : nous comptons à moyen terme sur l’ouverture du Campus Condorcet qui doit accueillir 15 500 étudiants dans le quartier de la Porte de la Chapelle » précise Olivier Sinson, directeur du nouveau magasin. Les autres produits traditionnels des magasins sont la musique (CD et vinyle) et le cinéma (DVD et Bluray) sur lesquels il y a également une offre dans l’occasion. Il n’y a pas de vente de matériel électronique (comme le faisait Virgin, NDLR), mais on trouve un grand département papeterie sur 400 m2 au sous-sol.
L’inauguration a eu lieu le 28 janvier 2014 en présence du député-maire du 18e Daniel Vaillant***, de l’adjointe au maire de Paris en charge du commerce, Lyne Cohen-Solal, d’Olivier Pounit-Gibert président du directoire du groupe Gibert Joseph, ainsi que d’élus de l’arrondissement et du Conseil de Paris et sous le parrainage de Pierre Lescure, tout juste désigné par le conseil d’administration du Festival de Cannes le 14 janvier pour succéder à Gilles Jacob à la présidence.
Inauguration du magasin Gibert Joseph Barbès le 28 janvier 2014. Photo. LL/PARIS-LOUXOR
« Concernant le choix de Pierre Lescure comme parrain, il faut savoir qu’il est un client assidu de Gibert Joseph Saint-Michel et que son nom ayant circulé spontanément avant l’ouverture, j’ai souscrit de très bon cœur à ce choix. J’en suis très heureux et je peux dire que son discours a été très flatteur pour notre enseigne », raconte encore Olivier Sinson.
Clientèle
« Nous avons une clientèle essentiellement familiale et de quartier, mais sommes bien conscients de la mixité qui caractérise Barbès. Nous avons mis en avant un rayon ethno, socio, philo, histoire et sciences humaines. Nous avons fait un très bon mois de décembre ; et nous sentons bien que le quartier est en train de vivre une nouvelle synergie sociologique en matière d’urbanisme : la réouverture du Louxor comme cinéma d’art et d’essai, la future brasserie à l’angle du boulevard de La Chapelle, et la continuité de Virgin avec Gibert Joseph.»
C’est un magasin très différent de celui de Saint Michel, plus d’espace de circulation et des conditions de loyer très avantageuses. Vu du Quartier Latin, son fief historique, la direction de Gibert Joseph se félicite d’avoir ouvert son premier magasin sur la rive droite de la Seine.
Gibert Joseph Barbès, angle boulevard Barbès – rue Christiani (avril 2014)
Le quartier
Pour ce qui est des interactions prévues avec les acteurs locaux, le directeur de Gibert Barbès envisage « tous les partenariats possibles avec les acteurs culturels et associatifs locaux : pour tisser des liens mais aussi pour créer un véritable espace culturel populaire dans un quartier souffrant parfois d’un déficit d’image » précise-t-il.
Le magasin est encore dans sa phase d’installation, « beaucoup de choses sont encore à ajuster, poursuit Olivier Sinson, notamment l’échafaudage présent sur la façade depuis quelques mois nous privant d’une forte visibilité et ralentissant nos opérations de communication. Celui-ci devrait être supprimé en mai prochain, ce qui sera l’occasion d’installer une nouvelle signalétique et des oriflammes pour affirmer notre présence à Barbès ». D’ici là Olivier Sinson réfléchit d’ores et déjà à la manière dont l’enseigne pourrait travailler de concert avec son environnement immédiat.
Des contacts ont été pris avec le Louxor et une opération de communication par voie de tractage sera lancée en mai prochain dans le quartier, et au-delà, jusqu’à place de la République et aux Grands Boulevards. Cette vaste opération de communication permettra aux 500 premiers clients de Gibert Barbès de se voir offrir une place de cinéma au Louxor. D’autres opérations autour de la programmation du cinéma pourraient être menées, notamment avec la mise en avant de DVD ou d’ouvrages d’auteurs et de professionnels du cinéma.
Des contacts ont été également établis avec l’association de la rue Christiani à l’occasion des 100 ans de Paris Habitat et des 10 ans de la réhabilitation de l’immeuble en logements sociaux par l’organisme public. Les organisateurs de la Fête des vendanges de Montmartre (8 au 12 octobre 2014, Montmartre fête les poètes) et d’autres associations du quartier se sont également manifestées dès l’ouverture du magasin, en vue de mettre en place des partenariats. Olivier Sinson ajoute que l’accueil a été particulièrement chaleureux, « surprenant » même, « je n’avais jamais vu une clientèle aussi heureuse de voir un commerçant s’installer ! » Pour l’ancien directeur du Gibert Joseph Saint-Michel, c’est une véritable surprise de découvrir un quartier aussi dynamique.
Des manifestations autour de la musique et du cinéma
Gibert Barbès envisage également d’organiser des manifestations et conférences. Une première manifestation s’est tenue avec les rédacteurs du magazine Musiques sur Led Zeppelin. Des dédicaces ont eu lieu avec l’universitaire et philosophe Marc Cirisuelo autour du livre Oh Brothers ! sur la piste des frères Coen, et avec Axel Cadieux autour de Une série de tueurs, les Serial Killers qui ont inspiré le cinéma, deux livres publiés par les éditions Capricci, une société de production et d’édition installée dans le 18e.
Samedi 19 avril à 15h30, jour du Disquaire Day, John Densmore, le batteur du groupe mythique, The Doors, est attendu pour une dédicace de son dernier livre THE DOORS, les portes claquent, l’héritage tumultueux de Jim Morrison. Cette opération sera menée conjointement avec les autres magasins Gibert. Olivier Sinson note que la circulation des publics est importante et qu’il est nécessaire que les clients de Saint-Michel ou du magasin de la Bibliothèque François Mitterrand puissent venir à Barbès. « Les choses s’organisent petit à petit, je pense que nous arrivons au bon moment à Barbès, le quartier se transforme, il est en pleine éclosion, et c’est le printemps ! » ajoute-t’il en guise de conclusion.
Et après le printemps vient l’été, et l’ouverture de la Brasserie Barbès, (ex brasserie le Rousseau, ex magasin Vano), un dossier attentivement suivi par les habitants et associations du quartier ainsi qu’à la mairie du 18e, comme le note l’adjointe au commerce « Nous avons suivi de près ce projet, nous avons eu la chance de travailler avec un bailleur privé très à l’écoute et qui a entendu nos souhaits (en relation avec ceux des habitants du quartier). Nous avons un beau projet de brasserie géré par des « grands » du milieu ! Les travaux ont pris du retard parce que le projet est ambitieux et que les porteurs de projets sont sérieux et qu’ils font les choses bien. Il y a eu des retards de délivrance de permis de construire (projet complexe qui a été étudié avec la Mairie et le commissariat) mais aussi suite aux découvertes d’amiante qui ont été traitées. Les choses prennent tournure et une ouverture pour l’été est envisagée. Nous attendons cette ouverture avec impatience parce que ce carrefour sera une petite révolution pour ceux qui ont connu le Vano. »
A noter : Les autres librairies du quartier : Lundi 14 avril, à l’issue de la projection de A nos amours de Maurice Pialat à 20h, la Librairie des Abbesses organise, au Louxor, une rencontre-signature avec Dominique Besnehard à l’occasion de la parution de son livre Casino d’hiver (avec Jean-Pierre Lavoignat, Editions Plon). Réservation : ici
La Librairie Nordest organise le samedi 17 mai de 11h à 13h, une rencontre avec Gustave Akakpo, auteur d’un livre de théâtre jeunesse : Même les chevaliers tombent dans l’oubli (éditions Actes Sud Papiers/Heyoka jeunesse) en partenariat avec l’association culturelle Ere de jeu.
Signalons que les libraires souhaitant nous communiquer leur programmation d’avril-mai sont les bienvenus, nous ne manquerons pas de l’ajouter à cet article.
** voir à ce titre la double page très complète publiée dans “le 18eme du mois” (mars 2014).
* A la même époque, place de Clichy, se trouve le Gaumont Palace, le “plus grand cinéma du monde”. (ici)
*** Maire du 18e arrondissement jusqu’au 13 avril 2014, le nouveau maire est Eric Lejoindre.
Les librairies autour du carrefour Barbès.